Policier sanctionné parce que citoyen.

"Le policier est au service des citoyens avant d'être à celui du carnet d'adresses de ses chefs"
LE MONDE pour Le Monde.fr | 21.04.10 | 11h20  •  Mis à jour le 26.04.10 | 19h26


L'intégralité du débat avec Philippe Pichon, commandant dans la police nationale, lundi 26 avril, à 15 h .


KL : En quoi votre cas est-il emblématique d'une application exorbitante du devoir de réserve ?

Philippe Pichon : Je suis commandant de police. Je suis actuellement mis en examen pour violation du secret professionnel, accès frauduleux à un système informatisé et détournement de données confidentielles à des fins privées, pour avoir divulgué au site Internet backchich.info certains éléments de fiches STIC (Système de traitement des infractions constatées), aux fins d'en dénoncer la non-mise à jour, l'utilisation frauduleuse et l'illégalité.

Je suis parallèlement en situation de suspension administrative à titre conservatoire.

Pour faire bref, j'avais, en interne, à plusieurs reprises, dénoncé les conditions d'utilisation et d'alimentation du fichier STIC, mais en vain.

Pour un policier, le "devoir de réserve" n'est pas une obligation de se taire, ni une interdiction générale de s'exprimer publiquement. Le "devoir de réserve" est une règle coutumière interne, consistant à observer une retenue dans l'expression d'opinions contraires à celles de vos chefs, sous peine de s'exposer à une sanction disciplinaire.

Donc le "devoir de réserve" ne figure pas explicitement dans les lois statutaires relatives à la fonction publique d'Etat.

Donc, encore, le "devoir de réserve" n'est textuellement pas défini.

Et pour répondre directement à votre question, je suis, hélas, emblématique de policiers souhaitant s'exprimer de façon générale au nom d'une certaine transparence démocratique. Je crois que le policier est au service des citoyens avant d'être à celui du carnet d'adresses de ses chefs.

Roméo : N'êtes-vous pas tenu à un secret professionnel ?

En effet, l'article 226-13 du code pénal prévoit le secret professionnel, c'est-à-dire, pour faire court, le secret de l'instruction, et plus généralement encore, le secret de l'enquête, c'est-à-dire encore les règles relatives à la discrétion professionnelle qui concerne tous les faits, les informations ou les documents dont vous avez une connaissance directe ou indirecte à l'occasion de l'exercice de votre profession.

Mais il existe, comme vous le savez, l'article 40 du code de procédure pénale qui fait obligation à un fonctionnaire, donc a fortiori à un policier, garant de l'Etat de droit, de révéler à une autorité judiciaire tout crime ou délit qu'il aurait constaté.

Sans entrer dans les détails de ma propre affaire, la question posée est : quelle application de l'article 40 du code de procédure pénale à l'épreuve de la fonction publique d'Etat ?

Nafnaf  : Peut-on être policier et tenir un discours militant ?

Evidemment non. Je dis même exactement l'inverse : le policier est garant de la neutralité et de l'impartialité de l'Etat, qui lui-même est garant de l'égalité devant la loi et de la crédibilité de la parole publique.

Je n'ai jamais eu l'impression de faire un acte militant, mais un acte citoyen, dès lors que ma charge m'impose de dénoncer les éventuels actes illicites commis par ma hiérarchie ou les dysfonctionnements graves engendrés par la mauvaise gestion du fichier STIC. D'ailleurs, j'observe que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) accorde sa protection aux fonctionnaires désireux de signaler ces actes illégaux quand toutes les autres solutions internes ont été épuisées.

Christine : Le devoir de réserve n'est-il pas à géométrie variable ? Est-il le même pour le simple gardien de la paix et pour la haute hiérarchie policière ?

C'est parce qu'il est mal défini textuellement que le devoir de réserve est en effet à géométrie variable et que, par conséquent, la sanction disciplinaire s'abat ou non sur celui dont la manière de servir ne serait pas dans l'air du temps.

Pourtant, le principe d'une libre expression des policiers doit se concilier avec certaines obligations. Le loyalisme à l'égard de la nation, le secret et la discrétion professionnels s'imposent, autant pendant qu'en dehors du service, à un gardien de la paix et à un haut fonctionnaire.

J'irai jusqu'à dire que le devoir de réserve s'impose encore plus pour un haut fonctionnaire. On peut sans trop prendre de risques affirmer qu'une retenue plus importante sera attendue d'un commissaire de police, dont les fonctions supposent un certain conformisme politique vis-à-vis du gouvernement, que d'un gardien de la paix, aux attributions plus techniques.

Ulysse : Que pensez-vous du cas Bruno Beschizza, officier de police et conseiller régional UMP en Ile-de-France. N'existe-t-il pas un conflit d'intérêt entre la fonction de conseiller régional et celle de fonctionnaire de police ?

Quel Bruno Beschizza ? Le sous-préfet récemment nommé par la volonté expresse du président de la République (si j'en crois la presse et le Journal officiel) ? Le conseiller régional d'Ile-de-France, sympathisant UMP ? Le commandant de police ? Le secrétaire général du deuxième syndicat des officiers de police ?

En effet, il n'est pas insolent de remarquer que ces différentes casquettes portent sinon un préjudice, du moins une équivoque sur les fonctions attendues d'un représentant de l'Etat de droit. Pour vous rassurer, Bruno Beschizza n'a en réalité jamais eu la possibilité d'exercer sur le terrain ses fonctions d'officier.

Julien : Etes-vous soutenu par un ou plusieurs syndicats de fonctionnaires de police ?

Une seule réponse : lors du conseil de discipline qui s'est tenu le 26 février 2009, c'est à l'unanimité des voix, représentants syndicaux compris, que ma mise à la retraite d'office de la police nationale à titre disciplinaire a été votée.

Néanmoins, j'observe que le tribunal administratif de Melun, saisi en référé, a suspendu la décision ministérielle de mise à la retraite d'office et que plusieurs hauts fonctionnaires de la police nationale ont témoigné en ma faveur.

Daemonik : Que vous inspire le cas du commandant de gendarmerie Matelly,radié des cadres pour avoir outrepassé son devoir de réserve ?

Le chef d'escadron Jean-Hugues Matelly est militaire. Je suis fonctionnaire de police, et donc civil. Néanmoins, il existe des préoccupations citoyennes communes.

Julien : Considérez-vous le fichier STIC comme une dérive du système policier ou comme une juste continuation de celui-ci ?

Il n'a jamais été question pour moi de dire que l'outil informatique en lui-même était, même sous forme de fichier policier, nuisible. Il est question de dire que la suspicion engendre la fichage, et le fichage, la suspicion.

J'entends par là qu'il s'agit d'avoir, dans une société démocratique, des outils de travail informatique à jour des décisions de justice. Il est également question de dire que l'alimentation et la consultation du fichier STIC doivent être plus rigoureusement encadrées.

Votre question sous-tend de réfléchir à un habeas corpus numérique, parce que l'Etat sera souvent incapable de remplir ses obligations légales de contrôle. Je vous renvoie là à la loi informatique et liberté de 1978 et au rapport CNIL de janvier 2009.

Haska : Pourquoi les syndicats n'ont pas réagi plus vite au problème que vous avez soulevé ?

Je crois que le STIC est l'objet de tous les fantasmes. Les policiers ont cette croyance que le STIC leur permet de travailler plus efficacement. Ils pensent que les informations contenues dans le STIC (pourtant non mises à jour) vont leur permettre un taux d'élucidation des affaires supérieur à ce qu'il serait sans cet outil. Or j'observe qu'avant le STIC sous sa forme informatisée, les policiers faisaient quand même de "belles affaires".

Roland Gerard : Le "serrage" de boulon des fonctionnaires n'est pas nouveau, surtout dans les administrations régaliennes, mais prend des proportions inquiétantes. Qu'en pensez-vous ?

Il y a en effet quelques indices qui suggèrent une crispation de l'exécutif vis-à-vis des agents de l'Etat qui ne sont pourtant pas ses agents. L'Etat se doit de viser l'intérêt général et non l'intérêt particulier de certains.

L'intranquillité du pouvoir politique exécutif est peut-être à mettre en relation avec la dramatisation des questions de sécurité publique.

  Chat modéré par Caroline Monnot

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