Après le triomphe du misandrisme victimaire, osez le misandrisme triomphal !

Après le triomphe du misandrisme victimaire, osez le misandrisme triomphal !

 

http://www.slate.fr/story/91069/misandrie-ironique-feminisme-male-tears

 

 

L'essor de la misandrie ironique

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onehundredeightythree/threehundredsixtyfive / Morning theft via Flickr CC License By

 

Des féministes ont décidé de s'emparer de ce qualificatif (littéralement «la haine des hommes») pour le tourner en dérision.

Chaque mois, le Misandrist Book Club [club de lecture misandre, NdT] se réunit pour faire progresser sa machination secrète axée autour de la haine des hommes: deux douzaines de femmes, jeunes, actives et vivant aux quatre coins du pays, lisent des livres écrits exclusivement par des femmes –Trois amies de Judy Blume, The Flamethrowers de Rachel Kushner ou encore Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie– et en discutent via une liste de diffusion.

Pour les générations antérieures, ce genre de groupe était simplement un «club de lecture féministe», mais comme me l'a expliqué l'une des ses membres, «le qualifier de “misandre” nous semblait plus rigolo».

La «misandrie» –soit, littéralement, la haine des hommes– est une accusation jetée à la face des féministes depuis les origines du mouvement de libération des femmes. Si on en croit leurs détracteurs, en œuvrant pour l'autonomie des femmes, les féministes ne font en réalité qu'oppresser les hommes.

Aujourd'hui, des féministes ont donc décidé de s'emparer de ce qualificatif pour le tourner en dérision: une bonne «misandre ironique» va boire dans une tasse où il sera écrit «MALE TEARS»[1], elle marquera «A mort les hommes» sur le glaçage de son gâteau et portera un badge «misandrie» en forme de petit cœur au revers de sa veste.

La misandrie ironique est une forme de «raisonnement par l'absurde», explique Jess Zimmerman, une des éditrices de Medium et fière propriétaire d'un mug «MALE TEARS». («En boire me rend plus forte», ajoute-t-elle).

«Il s'agit d'endosser la déformation la plus improbable, la plus exagérée de nos positions, afin d'en révéler le ridicule.»

A la base, la misandrie ironique c'est un peu comme tirer la langue au gamin qui vous persécutait à l'école. Quand, le mois dernier, des militants des droits des hommes ont couvert d'insultes Jessica Valenti sur Twitter, la journaliste féministe a posté une photo d'elle tout sourire et arborant un T-shirt «Je me baigne dans des larmes d'hommes», en dédiant le message à tous les «chialeurs misogynes» de sa timeline. Mais la misandrie ironique dépasse le simple pied de nez anti-haters: c'est une private joke qui circule entre féministes même quand leurs opposants ont le dos tourné, une manière de consolider la solidarité au sein du groupe. «Beaucoup de jeunes féministes que je suis sur Instagram et qui adorent cette saloperie sont des adolescentes», poursuit Valenti. (Cherchez le hasthag #maletears et vous tomberez sur des dizaines de jeunes femmes –et quelques jeunes hommes– posant avec leur mug tout neuf).

«Le féminisme dans lequel elles ont grandi, c'est le second degré des blogs, la misandrie ironique en est une extension naturelle.»

Pour ces jeunes féministes, véhiculer le plus largement possible cette histoire de «misandrie» est un jeu de société grandeur nature, où le but est de pousser l'idée d'un grand complot anti-hommes dans ses retranchements les plus ludiquement extrêmes et absurdes.

Quand le CityLab du magazine The Atlantic rapportait que «tous les Américains tués cette années par la foudre ont été des hommes», les féministes de Twitter y ont immédiatement vu la marque de la «misandrie institutionnalisée». Un mème repris par Zimmerman dans un post sur Hairpin, où elle assimilait la foudre à la magie noire d'une «cabale de sorcières», et imaginait quelles catastrophes naturelles ces harpies allaient bien pouvoir encore infliger aux hommes. (Avec des titres du genre «Rappel en magasin de plusieurs borsalinos responsables d'une série de combustions spontanées» ou encore «Une mystérieuse sténose des cordes vocales fait toujours des ravages parmi les éditocrates»).

Et sur Toast, sa cofondatrice Mallory Ortberg faisait une lecture masculophobe de tableaux connus et s'amusait à ajouter des paroles misandres à des berceuses classiques («Tais-toi vite, Colas mon p'tit frère/Tais-toi vite, ta sœur le mérite»). Et, comme souvent, les meilleures plaisanteries peinent à être expliquées: «Notre misandrie, ce sont les ailes d'un papillon, elle est trop belle pour qu'on la mette à plat histoire d'en comprendre le fonctionnement», m'a dit dans un courriel Nicole Cliffe, aussi cofondatrice de Toast. Chercher à les appliquer à un véritable contexte politique, «c'est risquer de gâcher la blague».

Mais cette haine des hommes n'est pas uniquement là pour faire rigoler: c'est aussi une brillante stratégie pour faire progresser les idées féministes. Comme le souligne Jillian Horowitz dans une récente chronique publiée sur Digital America, la misandrie ironique s'associe souvent à «l'expression d'une féminité exacerbée, à la limite du grotesque», comme on le voit avec le club de lecture de très jeunes filles de bonne famille, les techniques de point de croix misandre, les «Tutos de maquillage de la misandrie». Le sens de cette féminité surfaite est double: le premier, c'est de rapprocher misandrie et signes extérieurs d'innocence et d'ingénuité, afin d'éroder l'image des féministes comme monstres assoiffés de sang masculin.

Mais en même temps, donner une apparence belliqueuse à des espaces traditionnellement féminins, c'est laisser entendre que la solidarité féminine menace toujours le statu quo. Évidemment, défendre les droits des femmes n'aura pas comme conséquence la castration et l'extermination des hommes, mais le pouvoir masculin s'en verra forcément désenflé: que davantage de femmes entrent au Sénat signifie moins d'hommes sénateurs; publier davantage de tribunes signées par des femmes réduira quelques hommes au silence. Dès lors, la misandrie ironique permet aux féministes de contester l'idée qu'elles haïraient radicalement les hommes, tout en asseyant le fait qu'une égalité totale entre hommes et femmes demeure une idée radicale.

Du côté des masculinistes, l'humeur n'est pas vraiment à la rigolade: Paul Elam, le fondateur de A Voice for Men, m'a dit qu'il considérait la blagouille misandre comme «minable» et qu'il fallait y voir «l'énième preuve que [les féministes] sont vraiment de grosses tarées». Susciter de telles réactions est l'un des objectifs de la misandrie ironique: «Ça me plaît d'horripiler des types qui n'y comprennent rien», m'a dit l'une des membres du Misandrist Book Club. «C'est un bon moyen de faire le tri entre les mecs cool et les débilos».

Pour citer Zimmerman:

«Si j'en crois mon expérience, les gars que les blagues misandres dérangent sont presque invariablement des chouineurs sans aucun sens de l'humour, fragiles, qui manquent de confiance en eux et avec un gros complexe victimaire», tandis que «beaucoup des mecs féministes, sûrs d'eux, intelligents et sympathiques que j'ai pu rencontrer (…) comprennent quasiment tout de suite la blague et rentrent dans le délire. Ils ne flippent pas en pensant que je suis vraiment là pour pomper jusqu'à la dernière de leur larme d'homme».

Mais si le T-shirt «This Is What a Feminist Looks Like» [c'est à ça qu'une féministe ressemble], auparavant à chaque coin de rue, a été officiellement détrôné par l'effronté «Ban Men» [interdisez les hommes], c'est que parfois, s'afficher d'emblée féministe semble ne pas valoir la peine. Et quand des femmes ne se disent pas féministes, on leur tombe dessus pour leur signifier que féminisme veut simplement dire égalité entre hommes et femmes, et qu'il faut être stupide pour rejeter cette dénomination. Mais pour les femmes qui acceptent le terme, s'identifier comme féministe n'est pas non plus quelque chose d'évident: elles s'attendent à voir tous leurs choix, même les plus insignifiants, disséqués à la lumière du féminisme: de la couleur de leur robe de mariée au filtre de leurs selfies.

Au contraire, il y a un côté libérateur à adopter une posture ironique, qui permet aux femmes de s'identifier contre ce qu'elles ne sont clairement pas: des misandres caricaturales qui n'ont que l'annihilation des mâles en tête. Et en ciblant les anti-féministes, la misandrie ironique permet d'éviter de s'attarder sur ce que les féministes font de bien ou de mal. Comme le dit Zimmerman, c'est une manière pour les femmes de «critiquer les idéaux patriarcaux, sans conchier forcément des modes d'expression plus fifilles».

Je ne fais pas officiellement partie des misandres ironiques – je suis un peu trop timide pour les T-shirts à message et trop guindée pour les mèmes sur Instagram –, mais je suis contente de savoir qu'un tel outillage peut m'aider à vivre ma vie de femme. Et certaines provocations sexistes sont parfois trop pénibles pour qu'on se fatigue à répondre avec un véritable argumentaire féministe. Parfois, il suffit juste d'un GIF.

1 — Littéralement «larmes d'hommes», désigne dans le vocabulaire féministe le fait qu'un homme puisse répondre à un argument en prenant la place de la victime. La formule est construite sur le modèle des «white tears» (larmes de blanc) qui désigne le fait pour un blanc de se placer en victime dans une discussion sur le racisme, en mentionnant par exemple le racisme anti-blancs. Par extension, le simple terme de «tears» peut qualifier toute «chouinerie» d'un dominant face à la critique de tel ou tel système oppressif. NdT Retourner à l'article

 

 

Mais cela n'implique en rien que le misandrisme victimaire cesserait en rien de triompher, en nos Temples de Grande Inexactitude (TGI pour les intimes). Nous sommes au Féministan, que diable !

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